Témoignage de Pierre Séchet, flûtiste professionnel

 

Les lettres « CS » dans nos recettes de cuisine, veulent dire « cuiller à soupe ».Et en informatique, ce sont les initiales de la célèbre « creative suite » d’Adobe.

Mais non… suis-je bête ! CS ? CS ? CS ?... C’est Claire Soubeyran !

Claire Soubeyran qui, en inventant ou recréant les recettes de la fabrication des flûtes, a tout simplement nourri, au sens propre du terme, plusieurs générations de flûtistes professionnels et réjoui de nombreux flûtistes amateurs.

De formation très « classique », c’est vers la fin des années 60 que je commençai la pratique des instruments historiques et fus amené à consulter Claude Monin, facteur de flûtes à bec. C’est là que j’aperçus Claire pour la première fois. Elle était chargée du gros œuvre de préparation des bois et travaillait dans la cave de la maison où quelques machines étaient installées pour débiter, tailler et prépercer les meilleurs morceaux qui deviendraient plus tard, à l’étage supérieur, des flûtes à bec.

Ce détail n’est pas seulement anecdotique : c’est ainsi que commençait la formation des anciens apprentis chez les facteurs célèbres, et ainsi que l’on se familiarise avec le bois et que l’on acquiert par l’observation la « connaissance » de la matière.

Nos relations de travail débutèrent un peu plus tard dans les années 70, sans que rien ne nous y ait préparés l’un ou l’autre, à l’occasion d’une rencontre provoquée par un collègue et ami, Jean-Claude Veilhan, qui venait d’essayer un prototype de flûte traversière réalisé par Claire, installée à son compte dans un nouvel atelier, rue Belgrand à Paris.

J’avais à l’époque le projet d’enregistrer les sonates à deux flûtes seules de Wilhelm Friedemann Bach avec Penelope Evison et nous cherchions deux instruments aux qualités identiques dans leur esthétique et surtout dans leur accord. Enthousiasmé à mon tour par le prototype en question, je proposai à Claire comme un défi de fabriquer un « clone » et comme enjeu, en cas de réussite, d’utiliser ces deux flûtes pour l’enregistrement.

Ce qui fut fait.

À cette époque où les facteurs travaillaient de manière très empirique, tout comme les instrumentistes intrigués par la mode nouvelle des interprétations « historiquement informées », il m’avait semblé avoir trouvé l’âme sœur. Et pour le reste de ma vie professionnelle, je n’ai plus joué que des instruments signés CS.

J’avais précédemment travaillé au laboratoire d’acoustique de Jussieu (Paris VII) sous la direction de Michèle Castellengo en collaboration avec le jeune facteur François Drouin [qui délaissa petit à petit sa formation première pour assouvir sa passion et devenir pilote de ligne] avec lesquels nous avions pu analyser plus d’une cinquantaine d’instruments originaux. Le fruit de ces travaux est encore sûrement disponible, quoi qu’il en soit, j’ai pu le partager avec Claire en ajoutant mon expérience au sens fabuleux du « son » qui était le sien.

J’ai découvert à cette occasion qu’elle était douée d’une oreille capable, sans qu’elle eût reçu pour cela une éducation spécifique, de transcrire un chœur à 4 voix trouvé sur Youtube ou un CD audio. Entièrement autodidacte, elle n’était pas une « flûtiste » au sens virtuose du terme. Elle savait pourtant mieux qu’un instrumentiste patenté corriger le timbre et la fréquence d’une note qui à son oreille n’était pas satisfaisante. Chacun sait que le choix d’un instrument qui vous convienne est chose délicate.

C’est une chose que je ne savais pas faire, ayant toujours du mal à me décider sur telle ou telle qualité, ne retrouvant pas le lendemain ce qui m’avait séduit la veille. C’est Claire qui décidait pour moi de la manière suivante : le téléphone sonne ;  « Allô ! c’est Claire, j’ai un instrument pour toi. » Et la chose était arrangée, sans que j’aie jamais eu un réglage supplémentaire à lui demander...

 


Pierre Séchet se consacre de 1967 à 1980 à la musique contemporaine et fait partie de l’ensemble Ars Nova de Marius Constant. À partir de 1974, et pendant vingt ans, il est flûte solo de l’ensemble de Jean-Claude Malgoire, La Grande Écurie et la Chambre du Roy. À partir de 1984, il enseigne la flûte baroque au Conservatoire de Paris. Pierre Séchet a donné un grand nombre de concerts et a participé à plusieurs disques.