Témoignage de Philippe Allain-Dupré, flûtiste professionnel et facteur de flûtes

 

Claire Soubeyran nous a quittés le 7 mars 2018. Elle était le facteur de flûtes traversières baroques de solistes de renommée internationale, comme elle l’écrivait sur son site.

Elle aimait travailler en étroite collaboration avec les flûtistes pour mieux répondre à leur demande.

Elle possédait aussi une science de la restauration des instruments anciens, dans l’imitation parfaite des matériaux, et de l’ingéniosité dans la recherche des teintures pour se rapprocher au plus près du bois vieilli des flûtes originales.

Claire a produit depuis 1979 plusieurs milliers de flûtes, allant de la flûte d’étude copie G.A. Rottenburgh pour les débutants aux modèles les plus sophistiqués à la demande de professionnels aguerris, comme la copie de la flûte Hotteterre signée JLR (Jacques Le Romain) acquise par le Musée des instruments de la Villette ou la copie de la flûte à six clefs de Tulou.

Sa production révèle plusieurs faits remarquables qui la place au Panthéon des artisans qui ont œuvré depuis environ 50 ans à la redécouverte de la flûte ancienne :

Quelques anecdotes me reviennent en pensant à Claire :

Je la rencontrai pour la première fois en 1975, lorsqu’elle apprenait le métier auprès de Claude Monin, génial facteur de flûtes à bec. La rencontre se fit dans la cave de son pavillon d’Asnières. À l’époque, le bricolage était total : Claude tournait les flûtes avec une perceuse fixée sur son établi. Claire me racontait qu’après des études d’économie qui ne l’avaient pas vraiment intéressée et une tentative de fabriquer des sabots en bois (on était dans les années 70…), elle faisait un apprentissage en facture de flûtes.

Dix ans plus tard, installée dans son atelier rue Belgrand dans le 20eme arrondissement de Paris, elle me révéla sa géniale invention : une machine à copier les embouchures. Le principe de cette machine est de relier un palpeur à une fraise. Ce « pantographe amélioré » en quelque sorte permet de se mouvoir dans les trois directions pour tailler la nouvelle embouchure. Le palpeur ne fait qu’effleurer l’embouchure originale en fin de travail, sa fraise jumelle étant toujours occupée à gratter des microns de bois. À cette époque, j’étais élève de Barthold Kuijken  qui me prêta aimablement sa G.A. Rottenburgh et son embouchure originale de H. Grenser. Je tournais des copies fidèles des deux têtes et les apportais à Claire avec les originaux, afin de faire deux copies « Master » de ces joyaux.

Ces deux flûtes originales ont servi pour des milliers de clones de G.A. Rottenburgh ou de Kirst. D’autres embouchures originales ont pu être ainsi copiées, comme la Hotteterre du Musée, la Tortochot de Philippe Suzanne ou le piccolo Winnen, et sans doute bien d’autres.

Cette collaboration m’a permis de rendre périodiquement visite à Claire pour utiliser sa machine. Les échanges sur nos recherches étaient toujours passionnants et fructueux.

En novembre 2013, Claire s’était gravement blessée en affutant un alésoir. Sa main droite avait ripé et le tranchant lui avait coupé une artère et un tendon. Heureusement sauvée par sa voisine alors qu’elle perdait du sang, elle fut opérée et retrouva l’usage de sa main. Une longue rééducation lui a permis de reprendre le travail et de rejouer ses flûtes. Ce fut une convalescence courageuse qui força l’admiration de tous ses collègues.

Pour ceux qui avaient pu l’entendre, sa voix était magnifique, elle était une chanteuse assidue, un temps professionnelle, et chef de chœur depuis de nombreuses années. Elle avait de qui tenir : son oncle François Soubeyran faisait partie du célèbre quatuor vocal « Les frères Jacques ».

Cette voix, c’est sans doute celle qui la guidait dans la recherche du beau son, qui comme l’écrivait Tulou dans sa méthode : « C'est le son qui se rapproche le plus de la voix humaine. » (Tulou, Méthode de flûte, 1835).

Même si Claire nous a quittés, qu’il reste pour toujours le beau son de ses flûtes.

 


Philippe Allain-Dupré s'est spécialisé en flûte baroque auprès de Barthold Kuijken au Conservatoire Royal de Bruxelles. Il maîtrise les 3 types de flûtes traversières en bois : la flûte Renaissance, la flûte à une clef de la période baroque et la flûte classique à plusieurs clefs de la première moitié du 19e siècle. Il enseigne au Conservatoire National de Région de Toulouse et au Conservatoire du 9e arrondissement de Paris. Philippe Allain-Dupré a joué avec les plus grands chefs baroques et a participé à de nombreux enregistrements.