Claire Soubeyran a commencé à participer en 1993 aux stages de chants italiens de tradition orale que j’organisais en Seine-Saint-Denis du vendredi au dimanche. Souvent, on apportait à manger et à boire et, après le stage, on terminait en chantant tous ensemble.
C’était beau !
Et chaque année, on faisait un voyage de recherche en Italie, en Sardaigne, en Sicile ou dans les Pouilles pendant 56 jours ; ces voyages étaient très joyeux et nous permettaient de mieux se connaître, ce qui est nécessaire pour pouvoir chanter vraiment bien en chœur.
Claire avait une passion forte pour la musique et avait trouvé le temps de l’appliquer au chant de tradition italienne parce qu'elle avait une profonde sensibilité musicale et comprenait tout de suite le sens du chant, le sens de la ligne mélodique des chants liée au sens des mots de ces chants.
Les chants du sud de l’Italie, surtout, semblaient faits exprès pour elle, pour sa sensibilité si aiguë. Elle les rechantait en donnant aux personnes qui écoutaient ce sentiment de grâce qui venait de la compréhension complète qu’elle avait du chant.
Un jour, dans un restaurant en Toscane, elle eut le courage de se lever au milieu de tous et de se mettre à chanter un très antique chant toscan, après que nous l'avions suppliée de le faire. Et le restaurant était plein de gens. C'était le premier mai. Quand elle commença à chanter, il y eut un silence immédiat et total : tout le monde se taisait, pris par la surprise et par cette grâce mystérieuse qui venait de Claire quand elle chantait. Et à la fin, ce fut une explosion de joie et d’applaudissements. Claire était un peu gênée, mais contente. Et nous, nous étions tous très fiers parce que nous l'aimions tous beaucoup.
Pendant son dernier stage à Rome, en 2017, nous étions fatiguées, elle et moi, et elle m’offrit sa chambre d’hôtel qui était juste devant l’école où se passait le stage. Nous sommes donc allées nous reposer une petite heure. Et comme cela arrive quand on est détendu et en paix, nous avons commencé à parler un peu de tout et à cœur ouvert. Et tout en l’écoutant, je continuais à me dire « Mais quelle belle personne, pleine d’humour, d’intelligence, d’amour pour l’humanité et pour la vie ! »
Giovanna Marini, née à Rome, est une musicienne, chanteuse et chercheuse en ethnomusicologie italienne. Elle est l’une des figures les plus importantes de la recherche et de l’exécution de la tradition musicale populaire italienne. Tout d’abord guitariste classique, puis compositrice, Giovanna Marini a choisi très tôt, par passion de la sociologie, le retour à la terre et, depuis 1964, elle n’a cessé de collecter, restituer et faire revivre les chants de luttes, de guerre, de résistance, de travail et d’amour de l’Italie.