Pour fabriquer ses flûtes traversières d’époques baroque, classique et romantique, Claire travaillait sur des copies de musées ou des photos de pièces anciennes trouvées dans des livres, sachant qu’il est difficile d’avoir un bon instrument ancien : ils sont souvent injouables, de mauvaise qualité et détériorés.
La facture de flûtes traversières anciennes est un travail d’orfèvre, et il faut obtenir la tonalité qui conviendra aux instrumentalistes qui ont passé commande, chacun ayant des exigences et des sensibilités différentes.
La phase essentielle et la plus délicate est celle du réglage et de l’harmonisation. Il n’existe pas de théorie parfaite : il faut se fier autant aux règles acoustiques qu’à son intuition. Si la perce détermine les harmoniques, chaque modification apportée à la flûte remet en question tout l’équilibre de l’instrument.
Le travail de facture est plus subjectif que le travail de restauration : la fabrication d’une très bonne flûte est un travail long et aléatoire qui nécessite des réglages extrêmement délicats, faits en plusieurs fois. Cela dépend aussi de la personne qui va en jouer, car chaque personne est différente, physiquement et musicalement. Claire ne faisait pas de séries car elle adaptait sa production aux besoins de chaque instrumentiste.
La sonorité est quelque chose de subjectif, qui doit s’ajuster à la demande du client. Comme il est difficile de créer la sonorité voulue par chaque personne, Claire faisait essayer plusieurs flûtes à chaque client afin qu’il puisse choisir celle qui lui convenait le mieux.
Claire parle de la sonorité dans un article du magazine Sax :
« Le timbre est lié à la justesse, c’est un empilement de partielles d’harmoniques. Chaque fois qu’on bouge même d’une manière infime la perce, il se produit un enchaînement de modifications dans la justesse et le timbre. Au fil des ans et du travail, on acquiert cette connaissance. Voilà le secret d’un bon facteur ! On peut maîtriser l’accord mais pas le son. Parfois le résultat est juste mais sans charme : il faut alors tout recommencer. Tous les instruments sont uniques même lorsqu’ils sont très proches et nés de la copie d’un même modèle. C’est pour cela que je demande aux musiciens de choisir entre trois ou quatre flûtes. Elles ont chacune leur personnalité. Le musicien doit sélectionner le caractère qui lui convient. Ma signature sonore, c’est une flûte facile à jouer mais pas inintéressante pour autant. C’est faux de dire qu’une bonne flûte est forcément difficile à jouer. Aujourd’hui, j’ai des sons riches en harmoniques. Je n’aime pas le son mou, j’aime ce qui est riche et lumineux. Un son de flûte c’est 90 % du flûtiste, 10 % du facteur et 1 % du modèle. »
Claire fabriquait en moyenne une vingtaine de flûtes de concert et une trentaine de flûtes d’étude par an. Elle pouvait travailler sur une flûte pendant de nombreux mois. Depuis ses débuts en 1976, Claire produisit plusieurs milliers de flûtes, allant de la flûte d’étude pour les débutants aux modèles les plus sophistiqués pour les professionnels. Une flûte a une durée de vie de 20 à 30 ans.
Pour fabriquer ses flûtes, Claire utilisait comme matériaux du bois pour le corps de l’instrument (buis, ébène, palissandre), du métal pour la cléterie (argent, bronze ou laiton) et du fil de lin pour les emboîtages. Elle travaillait uniquement sur du bois absolument sec (le buis pouvait avoir plus de 10 ans et son stock d’ébène avait 50 ans en 2000). Après avoir fabriqué une flûte, Claire la gardait environ trois mois dans son atelier, car le bois bougeant, elle devait faire de nouveaux réglages.
Claire fabriquait elle-même un grand nombre de ses outils, dont une machine à copier les embouchures, qui a permis de réaliser de nombreuses copies des flûtes G.A. Rottenburgh ou de Kirst, comme l’explique le facteur Philippe Allain-Dupré :
« Installée dans son atelier rue Belgrand dans le 20e arrondissement de Paris, elle me révéla sa géniale invention : une machine à copier les embouchures. Le principe de cette machine est de relier un palpeur à une fraise. Ce « pantographe amélioré » en quelque sorte permet de se mouvoir dans les trois directions pour tailler la nouvelle embouchure. Le palpeur ne fait qu’effleurer l’embouchure originale en fin de travail, sa fraise jumelle étant toujours occupée à gratter des microns de bois. À cette époque, j’étais élève de Barthold Kuijken qui me prêta aimablement sa G.A. Rottenburgh et son embouchure originale de H. Grenser. Je tournais des copies fidèles des deux têtes et les apportais à Claire avec les originaux, afin de faire deux copies « Master » de ces joyaux. Ces deux flûtes originales ont servi pour des milliers de clones de G.A. Rottenburgh ou de Kirst. D’autres embouchures originales ont pu être ainsi copiées, comme la Hotteterre du Musée, la Tortochot de Philippe Suzanne ou le piccolo Winnen, et sans doute bien d’autres. »