Version 3. 6/10/2000

 

Flûte traversière

Jacques-Martin HOTTETERRE “  le Romain ” (1674-1763) ?

Paris, entre 1707 et 1727 (?)

Inv. : 999.6.1.

Provenance : achat à un particulier.

 

Sonne en ré au la 402 Hz

Marque estampée sur chaque corps : HOTTETERRE / J.L.R.

Deux corps en buis ; viroles et cabochon en ivoire. Pied en ivoire et une clef d’argent reconstitués.

Longueur de la tête : 223,3 mm. Longueur du corps : 330 mm. Longueur totale actuelle : 652 mm. Position actuelle du bouchon à partir du centre de l’embouchure: 13 mm

 

Cette flûte est exceptionnelle en raison de sa paternité, de sa rareté et de son intégrité, même si elle fut retrouvée incomplète. Totalement inédite jusqu’en 1997, date à laquelle Ardal Powell la décrivit sur son site Internet en précisant que son pied était manquant[1], cette flûte est la seule parmi toutes celles qui portent le patronyme Hotteterre, à présenter ces initiales. Elles ne peuvent correspondre qu’à celles de Jacques Hotteterre « le Romain », le plus célèbre de la dynastie, connu comme musicien, pédagogue, compositeur et facteur. Hautbois de la Grande Ecurie dès 1692, Ordinaire de la Chambre du roi où il fut aussi apprécié tant comme joueur de musette que comme flûtiste, il fut aussi l’auteur de la plus ancienne méthode pour l’instrument (Principes de la flûte traversière, 1707). Jacques Hotteterre a peut-être commencé à utiliser sa marque personnelle de facteur autour de 1707, lors de son installation rue Christine, afin de distinguer sa production de celle de son père Martin († 1712) et son frère Jean († 1720) qui continuèrent à travailler ensemble rue de Harlay. En effet, l’analyse des différentes marques de la famille Hotteterre montre que les fils et petits fils d’une même branche de la généalogie, lorsqu’ils assuraient la continuité d’un même atelier, conservaient la marque de leurs antécédents[2]. En 1715, alors qu’il est domicilié rue Dauphine, Hotteterre « le Romain » apparaît, selon le précieux témoignage du savant voyageur J.F. von Uffenbach (1687-1769), non seulement comme un musicien au faîte de sa renommée, mais aussi comme un facteur très productif : “ de là j’allai chez M. hauteterre, flûte du roy, qui me reçut poliment chez lui rue Dauphine, mais d’une manière hautaine et faisant le distingué. Il me conduisit dans une chambre convenable où il me montra un grand nombre de belles flûtes trouvant beaucoup d’avantages à jouer des instruments construits de sa main. Il apporta ensuite ses compositions, dont cinq étaient éditées de très belle façon ”[3].

 

Ce modèle de flûte traversière est à rapprocher, de par sa morphologie (notamment la virole centrale en miroir), d’un instrument marqué Chevalier  (Museum of Fine Arts, Boston)[4], et de la seule flûte traversière estampée Hotteterre dont l’authenticité soit unanimement acceptée, celle qui est conservée au Landesmuseum de Graz [5]. Cependant, du fait de son capuchon plus court et cylindrique, le modèle qui nous occupe fait également penser aux flûtes traversières de Rippert [6]et de Fortier[7], tous deux actifs au début du XVIIIe siècle. Cette forme de capuchon ne semble apparaître qu’après la publication de la méthode de Hotteterre (1707) dont la gravure pédagogique présente un modèle encore bulbeux. Une esquisse dessinée d’Antoine Watteau (1684-1721) exécutée une décennie plus tard[8] présente en revanche un patron comparable à celui de la flûte que nous étudions. Il paraît donc très plausible que cet instrument date de la deuxième décennie du XVIIIe siècle, mais il reste difficile de lui fixer un terminus ante quem car on ne peut confirmer si la production de Jacques Hotteterre le Romain se maintint après 1728, date de son mariage. En effet, l’inventaire de ses biens dressé alors ne mentionne aucun instrument de sa fabrication (fait que l’on remarque à nouveau dans son inventaire après décès)[9].

 

Une observation attentive de l’instrument (matériaux, morphologie, traces d’outils) confirme cette datation tôt dans le siècle. L’aspect et la patine du bois rappellent les instruments de la dynastie Hotteterre, notamment leurs flûtes à bec. L’ivoire révèle sous la loupe des stries légèrement en relief caractéristiques d’un ivoire ancien (ou marqué par les intempéries). La perce, peu déformée longitudinalement, présente une légère ovalisation et des étranglements dus sans doute à la contrainte des bagues extérieures. Elle montre des traces légèrement spiralées traduisant probablement l’utilisation d’un tour à la rotation lente, sans doute un tour à archet. Dans les différents corps, on observe les traces d’un outil de type racloir, attestant une retouche manuelle de la perce.

 

En l’absence d’un instrument vraiment comparable, le pied manquant de cette flûte a été reconstruit par Claire Soubeyran à partir du modèle Hotteterre indiscutable de Graz. Les proportions importantes (volumétrie des moulures, longueur) et l’étroitesse de la perce choisie rendent possibles des retouches ultérieures tenant compte du résultat de recherches futures.

 

Florence Gétreau et Claire Soubeyran

 



[1] www.baroqueflute.com.hotteterre. Le descriptif donne un tableau très complet de mesures et un relevé de la perce.

[2] Tula GIANNINI, “ Jacques Hotteterre le Romain and his father, Martin. A re-examination based on recently found documents ”, Early Music,  Août 1993, p. 377-395.

[3] Eberhard PREUSSNER, Die musicalischen Reisen des Herrn von Uffenbach, aus einem Reisetagebuch […] 1712-1716, Kassel et Bâle, BVK, 1949, p. 128-129 : “ von hier ging zu Ms hauteterre flute du roy, der mich zwar hofflich in seinem quartier a la rue dauphine aber etwas hochtrabend und vornehm thuend empfing, er fübrte mich in ein propre gemach und zeigte mir alda viel schöne flutes traverses die er selbst machet und besondern vortheil darin haben will, nachdem brachte er seine musicalischen Werke, davon er 5 mit ziehmlichem applausu ediert herbey […] ”. Nous avons retouché la traduction en français du passage cité par Valérie Winteler, dans “ Un Allemand à Paris en 1715 ou Hotteterre et Rippert au quotidien. Extraits du journal d’Uffenbach ”, Flûte à bec et musique ancienne, [Année à compléter], p. 7.

[4] Jane BOWERS, New Light on the Development of the Transverse Flute between about 1650 and about 1770 ”, Journal of the American Musical Instrument Society, III (1997), p. 5-56.

[5] Ardal POWELL, “ The Hotteterre Flute : Six Replicas in Search of a Myth ”, Journal of the American Musicological Society, XLIX (1996), p. 225-263.

[6] Glasgow, Museums and art Galleries. Cf. J. Bowers, op. cit., p. 23.

[7] Musée de la Musique, Inv. E. 984.8.1. Sur l’activité de ce facteur, voir Florence GETREAU, Aux origines du musée de la Musique […], Paris, Klincksieck, 1994, p . 355.

[8] Florence GETREAU, “ Watteau et la musique ”, cat. d’exposition Watteau, Paris, 1984, p. 540. Cette feuille, conservée au Fitzwilliam Museum de Cambridge, a été utilisée dans deux tableaux au moins de l’artiste (La déclaration et Le concert champêtre), datés vers 1716-1717 par la critique. Voir ce même ouvrage, p. 351, notice 45 et Bowers, op. cit., p. 18-19, reprod.

[9] Giannini, op. cit., p. 394-395.